1. Così fan tutte, créé à Vienne au Burgtheater le 20 janvier 1790, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Peut-être le plus profond, le plus mystérieux de tous les opéras de Mozart, construit sur des symétries que troublent et soulignent des épisodes loufoques, surréalistes, très difficiles à réussir. Une seule erreur de cast et tout est par terre, car les plus beaux moments sont dans les ensembles, trios, quatuors, quintettes et sextuors. Wagner et Beethoven détestaient Cosi! Souvenir impérissable du Cosi de Genève, en 1984, avec Margaret Price et Gabriel Bacquier dans une parfaite mise en scène de Boy Gobert et un décor de rêve. Aucune version n’est totalement satisfaisante. Très souvent, ce sont les parties travesties du rôle de Despina qui plombent l’enregistrement (Berbié, Emmy Loose, Hanny Steffek), ou le ténor (Schreier), ou Alfonso (Cortis, Tomlinson), voire le chef (Klemperer). J’aime la version de Muti captée à Salzbourg (EMI). Dans les versions en DVD et les productions récentes, ce sont les décors et les mises en scène qui sont désormais sinistres. La splendide mise en scène d’Ezio Toffolutti à l’opéra de Paris, sous Hugues Gall en 2000 dans une distribution de rêve (William Shimell en Alfonso), remplacerait avantageusement, en DVD, ce que le commerce nous impose actuellement. Elle a été reprise en 2011 et en 2013.
2. Le Nozze di Figaro, créé à Vienne au Burgtheater le 1er mai 1786, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Le livret de Lorenzo da Ponte est un bon cran au-dessus de l’original de Beaumarchais. Nous sommes les enfants de ce Figaro-là. La question centrale est celle des légitimités: la légitimité de la naissance métaphorisant celle du pouvoir. Mozart place, sous le masque de la jalousie, une autre question, celle de la réciprocité des droits et des devoirs. La scène de la reconnaissance et le retournement de l’intrigue sont rocambolesques. Je tiens la trop brève cavatine de Barbarina, au début du 4e acte, pour le plus émouvant, le plus bel air de Mozart. Version idéale de Muti. Avec Jorma Hynninen en comte, Thomas Allen en Figaro, Margaret Price en contessa et l’exquise Barbarina de Patrizia Pace (EMI). Inoubliable souvenir genevois des années Hugues Gall, mise en scène somptueuse de Nicholas Hytner en 1989, reprise encore supérieure en 1993… Comte extraordinaire de William Shimell. En 1993, la Comtesse était Renée Fleming, et Armin Jordan, grand mozartien, dirigeait.
3. Il Viaggio a Reims, créé le 19 juin 1825 au Théâtre-Italien de Paris, Gioacchino Rossini (1792-1868) Œuvre d’un modernisme profond. On attend, il ne se passe rien, c’est passionnant. Il ne se passe rien, à savoir: mille petites choses, des contretemps, des scènes de séduction, des rivalités, des crises de jalousie, des railleries… c’est une sorte de catalogue des situations types de l’opéra. On est en 1825, l’argument tiré de la Corinne de Mme de Stael se situerait tout aussi bien dans un roman de Balzac, une auberge de La Rabouilleuse ou des Illusions perdues, ou un épisode de La Muse du département. – Les airs, les duos, les ensembles sont d’une invention mélodique insurpassable. Il Viaggio a Reims Première version d’Abbado en 1984 avec une distribution somptueuse. Gioacchino Rossin C. Abbado, The Chamber Orchestra of Europe, Gasdia, Ricciarelli, Cuberli, Valentini-Terrani, Gimenez, Araiza, Ramey, Raimondi, Leo Nucci, 1984, DG (2 CD)
4. Carmen, créé à l'Opera Comique de Paris le 3 mars 1875, Georges Bizet (1838-1875) Version de Thomas Beecham. Avec Victoria de los Angeles, Nicolaï Gedda, l’Escamillo inégalé d’Ernest Blanc T. Beecham, Choeur et Orchestre National de la Radiodiffusion française, de los Angeles, Micheau, Gedda, Blanc, 1958, EMI (3 CD)
5. Die Fledermaus, créée au Theater an der Wien le 5 avril 1874, Johann Strauss II (1825-1899) Le livret est délicieusement absurde. Bien que l’anecdote de la chauve-souris qui donne malheureusement son titre à l’opéra ne soit pas fameuse, la musique est pure ivresse. Carlos Kleiber, le chef des chefs, et une distribution de rêve. C. Kleiber, Chœur et Orchestre de l’Opéra de Bavière, Varady, Popp, Prey, Rebroff, Kollo, Weikl, 1975, DG (2CD)
6. Turandot, créé à la Scala de Milan le 25 avril 1926, Giacomo Puccini (1858-1924) Jamais avant Turandot la Beauté féminine n’avait paru si redoutable. J’aurais voulu connaître dans ce rôle Maria Jeritza dont la seule beauté rendait concevable qu’un Calaf risque pour elle de se faire trancher la tête; «tu giochi la testa»! Version de Zubin Mehta; Sutherland, Caballé en Liu, où son art du son filé, la suavité du legato tiennent du miracle, et Pavarotti dans son plus beau rôle. Z. Mehta, Orchestre Philharmonique de Londres, Sutherland, Caballé, Pavarotti, Ghiaurov, 1972, Decca (2 CD)
7. Der Rosenkavalier, créé au Hofoper de Dresde le 26 janvier 1911, Richard Strauss (1864-1949) L’amour, le temps et la mélancolie associés aux voix féminines – l’arrogance et la vanité marquant le côté masculin. La confrontation de la sensibilité et de la vulgarité, plus actuelle que jamais. 1ère version DVD de Carlos Kleiber, avec Gwyneth Jones, Brigitte Fassbaender et Manfred Jungwirth ; le chapelain du baron Ochs, à lui seul, est fascinant (DGG). En CD, la belle version de Karajan, avec Schwarzkopf et Otto Edelmann (EMI). H. v. Karajan, Orchestre Philharmonia, Schwarzkopf, Ludwig, Stich-Randall, Edelmann, 1956, EMI (3 CD)
8. Ariadne auf Naxos, première version créée le 5 décembre 1912 à Zurich, seconde version créée à la Hofoper de Vienne le 4 octobre 1916, Richard Strauss (1864-1949) Opéra dans l’opéra. La question du rapport de l’art, de la sensibilité et de la vulgarité est admirablement renouvelée dans le prologue par Hofmannsthal, et traitée avec génie par Strauss. Inépuisable. Version magistrale de Karajan, avec Schwarzkopf et l’inégalable Cuénod en Maître à danser (EMI). Très beau souvenir d’une représentation à Lausanne avec Angelika Kirchschlager en Komponist, et Stephan Genz en Harlequin. Autre très belle version de Sinopoli avec Dessay en Zerbinette, où je retrouve Genz. H. von Karajan, Philharmonia Orchestra, Schwarzkopf, Streich, Seefried, Schock, Cuenod, 1955, EMI (2 CD) Richard Strauss
9. Capriccio, créé le 28 octobre 1942 à la Bayerische Staatsoper de Munich, Richard Strauss (1864-1949) Opéra génial, sous-estimé. Le plus français, le plus francophile des opéras allemands. La protestation de la culture contre la grossièreté nazie. Ronsard contre Goebbels. J’aime énormément cet opéra et ses allégories: Olivier, la Poésie; Flamand, la Musique; l’Amour et la rivalité des arts… Les grandes disputes à leur propos, les exigences des créateurs et les attentes du public. La scène finale et le postlude orchestral sont un exquis et mélancolique adieu de Strauss à l’opéra. J’aime en particulier dans Capriccio, comme souvent chez Strauss, un personnage secondaire, la silhouette énigmatique de Monsieur Taupe, figure hautement symbolique en 1941! Rôle fait pour des ténors de caractère, au timbre singulier, immédiatement reconnaissable, comme celui de Hugues Cuénod, de Michel Sénéchal ou de Heinz Zednik. Le livret de Clemens Krauss est d’une limpidité magnifique. Comme souvent, la version idéale s’imagine à partir de plusieurs enregistrements: je préfère à toute autre Lisa della Casa en Comtesse Madeleine; Hotter dans le rôle de La Roche, Gedda en Flamand, et Stephan Genz pour le magnifique Olivier de la seconde version de Georges Prêtre chez Forlane. G. Prêtre, Wiener Staatsoper, della Casa, Kerns, Kmentt, Berry, Luwig, Popp, Wunderlich, 1964, Orfeo (2 CD)
10. Dialogues des Carmélites, créé à La Scala de Milan le 26 janvier 1957, en italien et à l'Opéra de Paris en français le 21 juin 1957, Francis Poulenc (1899-1963) Peut-être l’œuvre la plus spirituelle et la plus poignante du répertoire. P. Dervaux, Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris, Duval, Crespin, Scharley, Berton, Gorr, 1958, EMI (2CD)